Le retour du héros : 20th Century Boys 17

Publié: 20/06/2011 dans Art séquentiel, mon mari : bande dessinée
Tags:, , , ,

Naoki Urasawa, 2000

Allons bon, on met des bulles sur les couvertures maintenant ! Ils ne savent plus quoi inventer chez Panini Manga.

[Pour un résumé d’ensemble et une analyse générale de la série, je vous renvoie ici.]

Décidément, il ne manque pas de souffle, ce Naoki Urasawa. A-t-on idée de créer un personnage principal aussi attachant que Kenji Endô, de le faire disparaître au beau milieu du volume 5 et de ne plus nous en parler ensuite que dans les flash-backs, au point que nous venons à en douter de son statut de protagoniste ? A-t-on idée, alors que tous les lecteurs se doutent bien qu’il n’est pas aussi mort qu’on voudrait nous le faire croire, d’attendre la fin du volume 15 (quinze !)  pour nous montrer pendant trois pages un type d’allure louche mais qui, si on y regarde de plus près, ne peut être que Notre Héros ? A-t-on idée, alors qu’à ce stade les lecteurs tiennent pour acquis que le Grand Retour du Grand Héros se fera dès le volume 16, de ne le faire se pointer que dans les DEUX DERNIÈRES planches du volume DIX-SEPT ?

Naoki Urasawa a idée, et pas seulement derrière la tête. Pour ce petit coquinou, triturer les nerfs du lecteur est un jeu, comme un enfant qui fabrique un chemin pour y faire passer les fourmis. C’est donc raccord avec la thématique du manga, ce qui prouve une fois de plus que N. U. est un génie.

Plus sérieusement, il y a quelque logique a procéder ainsi. Nous avons déjà eu l’honneur de montrer à nos estimables lecteurs les liens qui unissent passé et futur dans les œuvres de Naoki Urasawa : la solution à un problème présent ou à venir se trouve toujours dans le passé. Par conséquent, en ayant été un héros durant son enfance et son adolescence, Kenji Endô reste nécessairement un héros dans le présent, quand bien même il serait vraiment mort. Ne serait-ce que parce qu’il influence ses amis, qui continuent à lutter : c’est dans les souvenirs qu’ils ont de ses actes qu’ils trouvent l’inspiration. Comme il est précisé sur la couverture : « la justice ne meurt jamais ! »

En diffusant ses chansons sur une fréquence radio pirate, puis en se pointant devant un poste de garde tranquillou sur son scooter, Kenji semble presque en mesure d’encercler à lui tout seul le dispositif mis en place par Ami au fil des ans. C’est pas dommage : devenu Président du Monde, Dieu vivant et que sais-je encore, Ami a instauré une des pires dystopies de l’histoire de la science-fiction. Ce volume 17 est l’occasion d’explorer un univers infernal, pour lequel Naoki Urasawa a réussi a trouver le juste équilibre entre les deux caractères du régime d’Ami : ridicule et terrifiant. Dans la plupart des dystopies, l’un occulte souvent l’autre : le terrifiant dans 1984, le ridicule dans Brazil, par exemple. Ici il est clairement montré que ce qui est vraiment terrifiant, c’est que tout le monde en est venu à accepter des institutions, des idées qui à priori feraient mourir de rire un visiteur venu d’un monde un peu plus sensé.

Je ne citerai que la Brigade de Défense de la Terre, son quartier général en forme de cadavre de dinosaure à moitié rongé par les vers, ses fusils laser qui tirent dans toutes les directions sauf en face (ou qui ne tirent pas du tout), ses casques grotesques, ses entraînements qui consistent à faire semblant de tirer tout en faisant « Pyou ! Pyou ! Pyou ! » avec la bouche, le tout pour « l’arc-en-ciel de la justice ». La mission officielle de ces courageux militaires est de protéger le monde contre les extraterrestres. Bien entendu, il n’y a pas plus d’extraterrestres que de beurre en branche, la Brigade est tout simplement envoyée pour exécuter les dissidents présumés. Ce qui fait que le lecteur garde son rire coincé dans la gorge, malgré le caractère hautement comique de cette joyeuse Brigade, c’est que ces hommes sont parvenus à se convaincre eux-mêmes que l’homme qu’ils s’apprêtent à exécuter est bel et bien un extraterrestre, un ennemi de l’humanité.

L’autre grande trouvaille, c’est cette idée des murs infranchissables qui quadrillent le Japon (et probablement le reste du monde, même si nous n’en savons rien). Le pays a été divisé arbitrairement en plusieurs zones, entre lesquelles toute communication est impossible. La propagande, ensuite, a beau jeu de laisser entendre, sans jamais le dire clairement, que les gens vivent un enfer de l’autre côté, et que chacun devrait être bien satisfait de son sort, heureux d’être du bon côté du mur. (Incidemment, c’est un argument très utilisé en France dès que quelqu’un ose suggérer qu’on pourrait améliorer un tantinet quoi que ce soit : « ah mais vous savez, c’est bien pire en Iran/Corée du Nord/Afrique subsaharienne, vous devriez arrêter de vous plaindre ». Alors que, j’ai beau chercher, je ne vois pas le rapport entre le fait que c’est pire ailleurs et le fait que ça pourrait être mieux ici.)  Mais Otcho, lui, a réussi à traverser tout le Japon, et comme il nous l’a révélé dans le volume précédent, la situation est exactement la même partout. En bloquant la circulation des informations, Ami a bloqué le monde dans un présent éternel, sans avenir, donc sans espoir, sans passé à part les vagues souvenirs de ceux qui ont connu le monde d’avant les murs (mais n’était-ce pas un rêve ?), sans rien d’autre que la survie au quotidien.

La fin du volume nous suggère que c’est, une fois de plus, en faisant appel au passé, et cette fois plus particulièrement aux mythologies à moitié oubliées de la culture pop japonaise, que Kenji compte faire tomber les murs dans les prochains volumes. Gambatte !

♥♥♥♥♥

Guillaume Bardon

Politique des auteurs : Naoki Urasawa

commentaires
  1. […] intrigue. J’ai été ému et étonné. Me suis jeté ensuite sur le blogue « J’avais trop de truc à rêver la nuit dernière » dont je m’empêchais de lire l’analyse de cet épisode 17. C’est là […]

Laisser un commentaire