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The Allman Brothers Band, 1971

Sont-ils pas mignons ?

Le problème, en fait, c’est l’idée même d’album live. Évidemment, si on est en train d’écouter un truc enregistré, on n’est pas en live. L’album live est un document, un témoignage, mais il ne peut en aucun cas remplacer la présence à un concert, ou même en donner un équivalent approchant, tant il y a d’autres choses, en plus du son, dans un concert de rock.

Alors, évidemment, les Allman Brothers sont trop cool. Ils ont la bonne attitude, ce sont des braves gars du Sud des USA, élevés au grain, en plein air, et tout le toutim. Qui plus est, At Fillmore East le prouve, ils sont mieux en place en concert qu’à peu près tout le monde, ce qui permet finalement d’écouter ce disque comme un album studio, et règle donc en partie le problème. Au cours de ces presque 80 minutes, le Allman Brothers Band oublie totalement de se prendre les pieds dans les fils, comme il sied à un groupe de rockers alcoolos, et garde une cohésion digne d’un big band jazz.

Il y a d’ailleurs plus qu’un peu de l’esprit du jazz dans leur musique (même si, comme il saute aux oreilles, c’est avant tout celui du blues qui souffle sur leur rock), mais ici ce n’est pas tant la virtuosité individuelle des zicos qui épate, que leur capacité à jouer comme un seul homme. Le son qu’ils ont mis au point, ce passage à la moulinette électrique du blues, de la country et d’un peu toutes les traditions musicales de l’Amérique, est livré avec une aisance presque nonchalante, alors qu’on parle quand même d’une musique très pointue, et de morceaux aux proportions parfois épiques.

Parlons-en, d’ailleurs, des proportions épiques. C’est là qu’on retombe un peu dans les problèmes inhérents aux albums live. Au milieu du public du Fillmore, en 1971, j’aurais sans doute décollé comme tout le monde à l’écoute des deux morceaux de vingt minutes présents sur le disque, « You Don’t Love Me » et « Whipping Post », vague de son sur vague de son me submergeant jusqu’à l’extase, la communion avec la foule, l’Amour Universel (on est en 1971 je vous rappelle) et tout ce qui s’ensuit. Chez moi, en faisant la vaisselle, ou en traînant sur Internet avec le chat sur les genoux, ou même avec un peu de monde, ça ne fait pas le même effet. Vingt minutes, c’est, comment dire, un poil long. Disons que ce qui fait que de tels morceaux restent beaux, c’est la joie de jouer évidente et communicative du groupe. Mais ce qui fait que ça reste long, c’est que c’est quand même vaaachement long, vingt minutes, pour une seule chanson !

Heureusement, il n’y a pas que de ça sur At Fillmore East. Il y a aussi, par exemple, la meilleure version que je connaisse du « Stormy Monday » de T-Bone Walker. Qu’ils soient capables de faire un truc pareil avec un standard usé jusqu’à la corde par des centaines de musiciens en dit long sur le talent de ces types. Dans un registre plus enlevé, le morceau d’intro, « Statesboro Blues », repousse les limites de l’idée du dialogue voix-guitare, ce qu’on aurait aimé entendre davantage dans la suite de l’album, où la guitare ne laisse plus trop de place à la voix. Cette guitare de Duane Allman impressionne pourtant quand elle se met à intercaler sur chaque note une série de griffures, un coup de griffe en haut, un coup de griffe en bas, qui laisse le cerveau du pauvre auditeur complètement laminé. Pas de doute : lorsqu’ils laissent de côté les déploiements de grands moyens un peu datés et se contentent d’envoyer la chanson, les Allman Brothers sont des bons.

♥♥♥

Guillaume Bardon